Pénélope trouvera un titre (mais on pourrait appeler ça « Bill »)
Pénélope trouvera un titre (mais on pourrait appeler ça « Bill »)
Kearney, François  
Desharnais, Francis (Maquette de couverture de) 
  • Éditeur : Hurlantes
  • Collection : Fictions
  • EAN : 9782925304159
  • Code Dimedia : 000246919
  • Format : Broché
  • Thème(s) : LITTÉRATURE - FICTION & ESSAI
  • Sujet(s) : Humour, Littérature - Divers, Littérature québécoise
  • Pages : 238
  • Prix : 29,95 $
  • Paru le 16 septembre 2024
  • Statut : Disponible
  • Code de recherche: PENTTP
  • Groupe: Romans
  • Date de l'office: 11 septembre 2024
  • Langue d'origine: français
EAN: 9782925304159

ARGUMENTAIRE À USAGE INTERNE SEULEMENT, NE PAS DIFFUSER.

Qu’arriverait-il si l’on retraçait le parcours d’un stylo? Pénélope trouvera un titre tente une réponse en présentant une galerie de personnages dont la banalité du quotidien n’a d’égale que la singularité des pensées qui les accablent. Si les pérégrinations de Bill1 sont magnifiées, c’est grâce au regard que porte le narrateur sur l’histoire. Avec ce premier roman (et une pléthore de notes en bas de page), François Kearney traduit une partie des tares qui nous unissent au moyen d’un ton qui se veut davantage risible que tragique.  

François Kearney est un pur inconnu. Inutile pour lui d’étaler ses exploits pour flasher, même Google n’a que très peu de choses à dire à son sujet2. Alors que ses collègues peuvent se servir de leurs anciennes publications pour promouvoir l’arrivée d’un nouveau roman, Kearney3 est littérairement4 vierge5. Impossible de feindre qu’il a déjà partagé sa passion de la littérature comme professeur dans des universités de renom, Kearney, après avoir été entraîneur, plongeur, sauveteur, siphonneur d’aluminium, vendeur de disques, DJ6 et travailleur de rue, gagne maintenant sa vie comme enseignant d’adaptation scolaire auprès d’ados à qui il n’a pas à transmettre son enthousiasme concernant l’usage de notes de bas de page7. L’écriture de Pénélope trouvera un titre a débuté sur les rives du Mékong et s’est achevée en bordures8 de celles du St-Laurent, dans son Charlevoix d’adoption9.

1 Le nom donné au stylo et le témoin autour duquel Frédéric (en peine d’amour), Steeve (animateur Radio-X), Gina (caissière au Maxi), Bertrand (vendeur de voitures), Maryse (éducatrice spécialisée), Claire (esthéticienne), Francine (secrétaire) et Jean-Luc (médecin) se révèlent au lecteur.
2 Si ce n’est qu’il s’intéresse à la musique, qu’il pratique le water-polo et qu’il a passé des décennies à jouer au baseball.
3 Même son prénom est trop banal pour qu’on le répète… En revanche le patronyme Kearney a le mérite de sonner original au Québec. Il fait même l’objet d’un personnage dans les Simpson : le jeune tyran chauve aux bracelets piquants qui conduit un vieux modèle de Hyundai (comme l’auteur).
4 Pas littéralement, attention!
5 Du moins, sous ce nom de plume, car il a déjà sévi sous divers pseudonymes.
6 Le terme « metteux de tounes » serait plus approprié.
7 Passion qu’il partage avec ses autres lubies : la bouffe palestinienne, la cueillette de champignons et la vidéo du Belge qui a démoli la mauvaise petite maison blanche.
8 Si le terme « bordures » accepte que ce soit dans un rayon d’environ 3km.
9 Après avoir vécu vingt-trois ans au Saguenay, deux ans à Québec, un an à Trois-Rivières, six mois en Mauritanie (et deux mois en Indonésie).

Commentaire commercial, NE PAS DIFFUSER.

Extrait :

Bertrand10

Au siège social de la Caisse Desjardins de Laterrière, la séance que présidait Bertrand avait quelque chose de solennel, et pour cause; il s’agissait de la dernière réunion du CA avant que la petite institution financière ne soit fusionnée à celle, beaucoup plus grande, de Chicoutimi. Bertrand animait la rencontre avec la verve qu’on lui connaît, martelant les bienfaits qu’une telle fusion aurait sur ses membres et revenant sur les bons coups que sa caisse avait faits pendant son mandat. Outre la photo de passation de pouvoir sur laquelle Monsieur Dupéré, président de la caisse de Chicoutimi, figurerait aux côtés de Bertrand et des autres administrateurs impliqués, le point culminant de cette rencontre — que d’aucuns auraient qualifié d’historique — surviendrait au moment où seraient sélectionnés les trois gagnants du concours « Dessine-moi l’épargne » auquel on avait convié à participer toutes les écoles primaires du nouveau territoire couvert par la fusion.

Au départ, les administrateurs avaient proposé que les gagnants soient déterminés par tirage au sort, mais Bertrand s’y était farouchement opposé.

— Je m’objecte farouchement11 à ce qu’on procède par tirage, voyons donc! Les dessins gagnants seront publiés, laminés et affichés dans nos établissements. Aussi bien s’organiser pour qu’ils soient dignes, non? Personnellement, j’ai toujours trouvé ça loser, les tirages. Laissons le hasard aux faibles et faisons preuve d’un minimum de rigueur si c’est pas trop vous demander.
— Pensez-vous qu’on a les connaissances artistiques requises pour juger de la beauté d’un dessin? demanda Sonia Collard, vice-présidente du CA. Je les trouve tous mignons, moi. Autre question, monsieur le président : notre mandat consiste-t-il à souligner l’excellence ou l’effort? C’est l’intention qui compte après tout, vous ne pensez pas? Regardez la pile qu’on a reçue. Ça risque d’être long si on se met à les évaluer un par un.
— On fait les choses comme du monde ou on ne les fait pas, trancha Bertrand en étalant les dessins sur la table, réalisant qu’il devait également en déposer sur le plancher et dans le hall d’entrée. Je propose que Monsieur Dupéré et moi choisissions chacun nos deux dessins « coup de cœur ». À la fin, ça nous en donnera quatre, conclut Bertrand, encore un peu farouche.
— Oui, mais on doit nommer trois gagnants et non quatre, précisa la même Sonia Collard, que Bertrand commençait à maudire.
— Laissez-moi finir, vous. Je sais très bien qu’on doit en nommer trois. Je le sais d’ailleurs probablement plus que la majorité d’entre vous puisque je siège sur le CA de la caisse depuis plus longtemps que quiconque ici. Et je sais compter. Donc... Vous m’avez fait perdre mon idée, là. Je disais quoi avant qu’on me coupe la parole?
— Vous disiez que vous et moi, on choisirait deux dessins chaque. Comme ça, à la fin, il en resterait quatre, résuma Monsieur Dupéré, impatient d’en finir.
— Il n’en restera pas quatre si on permet aux autres administrateurs de voter pour éliminer le moins beau. D’un point de vue diplomatique, ça me semble équitable : les deux conseils d’administration seraient représentés et, au final, on arriverait à nos fins de façon démocratique, n’est-ce pas?

Monsieur Dupéré n’osa pas contredire Bertrand. Il aurait aimé lui expliquer qu’un tel exercice serait pénible et que, proportionnellement, il était illogique que le président sortant de la petite caisse de Laterrière ait autant de poids que celui de Chicoutimi, mais il se tut. Après tout, c’était la dernière fois qu’ils auraient à travailler ensemble, Bertrand ayant déjà annoncé qu’il se retirerait du CA dès que la fusion serait effective.

Une fois toutes les œuvres étalées, les deux présidents firent le tour. Monsieur Dupéré y alla rondement. Au bout d’à peine cinq minutes, il tenait ses deux dessins et les montrait à ses collègues afin de leur soutirer quelques « C’est donc ben cute », « Excellents choix, Monsieur Dupéré », etc.

Quant à Bertrand, ce fut beaucoup plus laborieux. La main sous le menton, les lunettes au bout du nez, tel un expert en art contemporain, il s’arrêtait devant chaque dessin, les retournant tous pour connaître l’identité de l’artiste. Afin de modifier son champ de vision et de voir les choses selon de nouvelles perspectives, il lui arrivait même de se pencher la tête sur le côté ou d’observer les dessins à travers un triangle qu’il formait avec ses doigts. Les membres du CA qui assistaient à la scène étaient stupéfaits12.

— Pas mal, lui, mais il n’a pas écrit de titre, exprimait-il pour que tout le monde l’entende. Hey boy! Ce dessin-là est vraiment laid. J’te dis qu’il y en a qui ne se sont pas forcés. R’gardez ça! Elle était dans sa phase verte ou quoi? Cibole! J’appelle pu ça dépasser. Oh! Wow! OK, lui, j’le prends c’est sûr. Pas lui. Pas lui. Lui non plus, quoiqu’il a mis beaucoup de couleurs foncées. Je préfère, et de loin, le foncé aux couleurs pâlottes. J’trouve que ça fait branleux, moi, le pastel, le crème, le turquoise pis ce genre de couleurs là. Quand tu prends la peine de colorier, me semble que la moindre des choses c’est d’appuyer fort sur le crayon. Oh! Mais il est pas pire, lui. Et de Laterrière en plus. OK, les jeux sont faits, j’ai les deux miens.

Par politesse, personne n’avait osé quitter les lieux. D’un point de vue technique, la réunion n’était pas encore terminée, mais tous les membres avaient déjà leur manteau sous le bras, prêts à déguerpir dès que l’assemblée serait officiellement levée.

Bertrand était impatient de dévoiler au reste de l’équipe les deux dessins qu’il avait choisis.

— Bon. Mes deux gagnants... Roulement de tambour... (Réalisant que personne ne bronchait, Bertrand battit lui-même la mesure sur la table). En deuxième place : ce dessin illustrant une petite famille qui se tient debout devant une caisse. En tout cas, ça ressemble à une caisse. Bref, c’est l’œuvre de Charlie Kennedy, neuf ans, un petit garçon de Laterrière. Je connais très bien ses parents. Ils habitaient dans ma rue avant. Des membres fidèles et d’excellents épargnants. Pour la médaille d’or, j’ai été charmé par ce merveilleux dessin de lion signé de la main d’Evaëlle LeBlanc, onze ans, de la Côte de la Réserve à Chicoutimi. Bien tracé, très coloré, on voit que la petite LeBlanc s’est appliquée pour faire son lion.
— Pour le calquer, vous voulez dire, se permit d’ajouter madame Collard, enseignante au primaire.
— Oh! On l’a, notre experte en arts finalement, riposta Bertrand, furieux.
— Calqué ou non, un lion, me semble que c’est pas trop dans le sujet, avait rétorqué monsieur Dupéré.
— Quel sujet?
— L’épargne.
Tout le monde fixa Bertrand.
— L’épargne, l’épargne, faut pas en faire une maladie non plus, se défendit-il. Je trouve vraiment qu’il domine, ce dessin de lion. C’est ça l’important. Et je vous rappelle qu’il s’agit du roi de la jungle. Dans le monde animal, le lion représente l’épargne. Peut-être pas l’épargne monétaire telle qu’on l’entend dans le milieu des finances, mais quiconque connaît un peu la savane sait que le lion ne gaspille pas ses forces inutilement. Au contraire, s’il y en a bien un animal qui doit épargner ses énergies, c’est le lion. Il faut savoir saisir le second degré, les amis. L’épargne peut avoir plusieurs visages. Et vous, monsieur Dupéré, quels dessins avez-vous choisis?
— J’ai sélectionné ces deux-là, répondit monsieur Dupéré en déposant ses choix sur la table. Bertrand remit ses lunettes et examina les dessins de son acolyte en silence, l’air songeur.
— D’accord pour celui de la grosse tirelire rose. C’est sympathique et assez bien colorié. Ça fait très « premier degré » par contre. Aussi bien écrire le mot « Épargne » en grosses lettres et mettre de la couleur dedans. On est loin de la symbolique représentée par le lion.
Bertrand porta son attention sur le deuxième dessin soumis par monsieur Dupéré.
— Non, non, non, non! Ça fait beaucoup trop bébé.
— Je trouve ça pourtant très mignon, moi, de renchérir monsieur Dupéré. On voit clairement que la petite Sandrine Caron s’est appliquée. La couleur du gazon, les fleurs, la maison. Je le trouve très bien, moi. Et j’ai fait exprès de choisir un dessin soumis par une enfant plus jeune. Les élèves du premier cycle n’auraient aucune chance de gagner sinon, vous ne croyez pas?
— Bien d’accord, avait répondu madame Collard. Et il est fichtrement bien fait, ce dessin. Fiez-vous à moi. J’enseigne au primaire et des dessins comme celui de la petite Caron, on ne voit pas ça souvent au premier cycle.
— Et vous leur enseignez à beurrer leurs dessins de jus de raisin aussi? demanda Bertrand en pointant une tache.
Madame Collard expulsa un long soupir.
— OK. Alors on fait quoi? On est dans une impasse, annonça Bertrand. Il faut en choisir trois et moi je tiens à ce que les deux miens restent dans la course. Que diriez-vous qu’on tienne un vote? Secret, bien sûr.

Les neuf autres administrateurs refusèrent en bloc la proposition de Bertrand. Rémi Fradette, habituellement obéissant, menaça même de quitter le conseil d’administration si c’était pour être aussi compliqué.

— Va falloir que vous abandonniez un de vos choix, monsieur Dupéré. On attend juste ça pour clore la réunion, ajouta Bertrand. Et mon instinct me dit que les membres du conseil ont hâte de partir. Ça se voit dans leur non-verbal. Et en tant que vendeur, je sais de quoi je parle, je suis passé maître dans l’art du non-verbal.

C’est ainsi que le dessin de Sandrine Caron fut rejeté au profit d’un dessin de lion.

10 J’ai aussi hâte que vous d’être débarrassé de ce personnage.
11 Je vous l’avais dit...
12 Quant à moi, qui suis d’emblée sans réaction, j’étais surtout étonné de constater à quel point Madame Collard pouvait entretenir des fantasmes de violence lorsqu’elle avait l’impression de perdre son temps ou la face. D’abord intrigué par le regard meurtrier qu’elle lançait à Bertrand, je me permis une petite incursion dans son cerveau et laissez-moi vous dire que les scènes dont j’ai été témoin n‘étaient pas dignes d’une enseignante.




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