Une sentinelle sur le rempart
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J’ai soixante-trois ans, bientôt soixante-quatre. J’écris ces pages dans la chambre de garde de l’hôpital psychiatrique où je travaille depuis vingt-trois ans. Dans six mois, je quitterai l’établissement pour prendre, sinon une retraite définitive, du moins un long congé après lequel j’évaluerai si j’ai envie de pratiquer quelques heures par semaine la médecine. J’arrive, pour paraphraser Miron, au bout d’un long voyage abracadabrant.
Qu’est-ce qui pousse un jeune sain d’esprit à devenir médecin? Que ressent-on quand on pénètre dans un laboratoire d’anatomie peuplé de 41 cadavres? Quand on entreprend sa première garde d’interne? Quand on doit annoncer à des parents que leur fils est en état de mort cérébrale, à un patient de 44 ans en pleine forme que son échographie révèle une masse au pancréas? Que vit un médecin au quotidien?
Dans un récit intime et émouvant, Jean Lemieux revient sur son parcours d’omnipraticien, de ses débuts aux Îles-de-la-Madeleine jusqu’à ses années de pratique en milieu psychiatrique. Il nous emmène avec lui pendant ses gardes de nuit et dans son combat de chef de service aux prises avec la réforme du système de santé. Ce faisant, il nous livre une réflexion personnelle sur le passage du temps, la vie et la mort.
Médecin, passionné de musique et de voyage, Jean Lemieux a écrit de nombreux romans récipiendaires de multiples prix. Pour les adultes, il signe entre autres la série d’enquêtes de l’inspecteur Surprenant et a vu son roman On finit toujours par payer être porté à l’écran. Pour les jeunes, il est notamment l’auteur de Le Trésor de Brion, une aventure où il entraîne ses lecteurs dans une chasse au trésor aux îles de la Madeleine.
Si j’avais su ce qui m’attendait, aurais-je pris la décision, à dix-huit ans, de me réinscrire en sciences de la santé au collège et d’entreprendre la longue marche vers l’admission dans une faculté de médecine ? Oui, probablement, tant j’étais habité par une conception idéalisée de la profession et du statut. J’ai longtemps pensé que je n’avais pas la vocation. Le mot n’est plus utilisé, sinon pour opposer de façon caricaturale les vieux médecins, toujours animés par un idéalisme analogue à celui des prêtres, aux Y ou aux milléniaux, qui ne seraient plus gouvernés que par le désir de protéger leur qualité de vie.
22 h 48. Mon téléavertisseur de garde sonne. Je lis le numéro, appelle l’unité en question. Un schizophrène bien connu, sans doute amorti par sa médication du coucher, a chuté et s’est infligé une coupure de cinq ou six centimètres au cuir chevelu. Je sauvegarde mon document Word sur mon portable, saisis mon stéthoscope et me dirige vers l’unité. Il faut croire, après trente-huit années de pratique, dont trente-cinq années de garde sur place, que j’ai la vocation, ou quelque chose qui y ressemble.
NB : Les prix indiqués sont sujets à changements sans préavis.
